Installées en Île-de-France depuis plus de 20 ans, les chenilles processionnaires sont classées depuis 2022 nuisibles à la santé. Outre les urtications, elles peuvent aussi avoir un impact visuel ou sanitaire sur les végétaux. Pour enrayer le développement local des chenilles, et éviter des photos de pullulation, il est nécessaire d'avoir un raisonnement à une échelle globale, et qui repose sur de la prévention en plus des méthodes de gestion.
La gestion des chenilles processionnaires, un enjeu ancré en Ile de France
État des lieux de la présence des chenilles processionnaires
Parmi les chenilles urticantes que l'on trouve le plus souvent, deux sont majoritaires. Il s'agit de la processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa, et de celle du chêne, Thaumetopoea processionea .
Le processionnaire du pin a été particulièrement étudié au cours de la dernière décennie, car ses populations sont clairement remontées du sud vers le nord à cause de la hausse des températures liées au réchauffement climatique.
En revanche, la présence de la chenille processionnaire du chêne n'est pas récente puisque sa présence était déjà enregistrée en 1850 en France métropolitaine. Dans son cas, c'est probablement l'adoucissement des températures hivernales et printanières, cumulé à la baisse des populations d'auxiliaires naturels qui influent le plus sur l'augmentation des populations de chenilles.
Avant les années 2000, les études scientifiques traitant du sujet de l'évolution des populations de ces chenilles mettaient en évidence une courbe de croissance en sinusoïde : avec en alternance des périodes de faible présence et des périodes de fortes présences. Durant 4 à 6 ans, les populations ont augmenté, atteignent un plateau maximal qui durait 3-4 ans puis rapidement décroître et n'avoir qu'une présence discrète pendant quelques années également.
Mais depuis la période 2005-2008, cette dynamique de population a changé. Les populations de chenilles urticantes restent très importantes et nous constatons qu'elles ne passent plus vraiment sous un seuil de présence acceptable. Elles varient en restant importantes, notamment dans les zones urbaines et périurbaines de l'Île-de-France où l'on trouve les pins et chênes, hôtes principaux de ces deux chenilles. Leurs cycles de développement ont également été modifiés du fait du réchauffement des températures, et les processions de nymphoses qui avaient lieu en mars il y a une dizaine d'années ont désormais lieu dès les mois de novembre ou décembre.
Depuis plus de 10 ans, nous avons observé la propagation des chenilles processionnaires sur le territoire francilien. Aujourd'hui, si certains départements comme les Yvelines ou la Seine-et-Marne sont particulièrement touchés par cette problématique, les chenilles processionnaires sont bel et bien présentes aussi bien dans les villes qu'en milieux naturels, et ce sur toute la région Île-de-France.
En 2021, un observatoire national des chenilles processionnaires a été mis en place par le Ministère chargé de la Santé en partenariat avec les ministères chargés de l'agriculture et de l'écologie et le ministère de l'Intérieur. Le pilotage de cet observatoire est réalisé par FREDON France.
En quoi la gestion des chenilles processionnaires est-elle si problématique ?
Outre les risques et impacts inhérents aux processionnaires du pin et du chêne, ce qui rend leur gestion complexe, c'est d'abord le fait qu'elles se développent aussi bien sur des parcelles privées que publiques. Localement si les mesures de gestion sont mises en place uniquement par certains acteurs, les arbres ou parcelles non intégrées constituant des petits réservoirs de populations, qui pourront alors plus rapidement réaboutir à une population de chenille importante, et donc problématique.
Espérer anéantir les chenilles processionnaires d'un territoire est impossible, et l'objectif est bien d'apprendre à vivre avec ces chenilles, dont les populations doivent être surveillées et régulées par des méthodes de gestion adaptées. Pour cela, il faut parvenir à mettre en place une approche collective de la gestion.
Dès 2012, c'est dans cette logique qu'en discussion avec L'ARS et FREDON Ile de France, la préfecture de Seine et Marne a pris la décision, d'imposer à plus de 80 communes de définir et de mettre en œuvre un plan d'action dans l'objectif de réguler les populations de chenilles processionnaires du chêne et du pin (pour en savoir plus). Dans ce cas, ce sont bien les collectivités qui ont l'obligation de mettre en place une stratégie globale sur leur territoire. Certaines collectivités sont allées plus loin, en prenant des arrêtés contraignant les habitants à gérer les nids de chenilles sur leurs espaces privés.
Le deuxième aspect qui rend la gestion des chenilles processionnaires complexe, réside dans le fait qu'il faut agir sur l'ensemble de son cycle de développement, et avec des méthodes adaptées aux sites concernés. Pour exemple, mettre en place un écopiège sur le tronc d'un pin permettra d'intercepter une procession de nymphose, au moment où les chenilles descendront d'un pin pour aller s'entrer. Cette solution n'est en revanche pas efficace pour réduire la phase de reproduction des papillons. Elle n'est également pas adaptée à la gestion des boisements. Enfin, le processionnaire du chêne et le processionnaire du pin n'ont pas les mêmes comportements, ce qui amène à des méthodes de gestion qui diffèrent d'une espèce à l'autre.
Quelles solutions envisager pour réguler les chenilles processionnaires ?
Un plan de prévention et de gestion des chenilles processionnaires
Dans la plupart des zones touchées, suite aux échanges que nous avons avec les gestionnaires, nous constatons un manque de transversalité dans les méthodes mises en œuvre et les acteurs impliqués. Nous observons parfois des applications démultipliées de traitements biocides et la pose de pièges et de nichoirs sans analyser globale de la situation. Cela engendre un coût important et une efficacité moindre qui pourrait être optimisée si une réflexion était menée en amont, et intégrait une analyse de risque du territoire. Cela éviterait des traitements inutiles et permettrait de se concentrer sur les interventions vraiment efficaces.
Au fil du temps, nous avons élaboré un plan de prévention et du plan de gestion pluriannuel des chenilles urticantes. Le plan de prévention permet d'identifier les dangers et les expositions du public dans une analyse qui localise le niveau d'infestation des chenilles, l'exposition des personnes et le milieu (présence de broches, sites sensibles). L'analyse de risque permet de guider la stratégie de prévention et de gestion. Ensuite, le plan de prévention intègre des recommandations d'information vers les différents publics concernés et les mesures à prendre : balisage de zones par des agents, protection des agents, information du public dans des parcs, du personnel scolaire, par exemple. Le plan de gestion est, quant à lui, axé sur le raisonnement et l'optimisation des mesures annuelles de gestion adaptées site par site. Le plan de gestion apporte un chiffre estimatif des mesures. FREDON Ile de France n'intervient pas directement dans la mise en œuvre de la gestion des chenilles et garde aussi de cette façon toute l'indépendance et l'impartialité de son conseil.
Des solutions techniques pour réduire les populations de chenilles processionnaires
La première chose à retenir, c'est que seule la combinaison de plusieurs solutions techniques permet d'avoir un résultat efficace pour la régulation des populations de chenilles.
La seconde, c'est que les chenilles processionnaires du pin et du chêne ne sont pas sensibles aux mêmes méthodes de lutte.
Contre la processionnaire du pin, il existe des mesures de gestion alternatives aux traitements phytosanitaires ou biocides qui sont efficaces. Parmi ceux-ci, citons les pièges à procession qui empêchent les chenilles de descendre des arbres. Il existe également l'utilisation de phéromones, avec plusieurs formulations adaptées aux stratégies de régulation (perturbation, captage). Il est également possible de faire procéder à l'échenillage, en taillant les rameaux ou les branches auxquelles des nids de chenilles sont accrochés. De fait, l'usage de traitements peut être réservé à des cas d'infestation bien spécifiques ou lorsque les interventions alternatives ne suffiraient pas.
La gestion de la processionnaire du chêne est plus compliquée, car les mesures de gestion alternative ne suffisent généralement pas. Les pièges à procession ne fonctionnent pas, car les chenilles ne descendent pas des arbres comme celles du processionnaire du pin. De même, les phéromones jusqu'à présent disponibles ne permettent pas de capturer les papillons de façon satisfaisante. Le traitement reste pour l'heure parmi les solutions de lutte efficaces, mais il convient de raisonner correctement cette application, tant dans le choix des substances que dans les moments et lieux d'application.
Actuellement, les propriétaires d'arbres et les gestionnaires agissent au cas par cas. Ils font appel à des entreprises du paysage pour traiter les arbres, mais aussi enlever manuellement ou encore brûler les nids à même le tronc des chênes. Cela nécessite un savoir-faire et des précautions particulières.
Quels sont les risques et impacts des chenilles processionnaires ?
Des poils urticants dangereux pour la santé des animaux et des humains
Les chenilles de la processionnaire du pin et de celle du chêne sont urticantes. Ou plutôt, les poils de taille microscopique qui sont produits par leur corps dans des miroirs (poches noires situées sur leur dos) contiennent une protéine, la Thaumetopoeïne, qui induit une réaction du système immunitaire des individus qui entrent en contact avec elle. Les animaux comme les humains peuvent être concernés, certains plus que d'autres, en fonction de leur sensibilité allergique et de la qualité de leur peau. Ainsi, les personnes âgées, les enfants et les personnes sensibles sont plus vulnérables aux poils urticants. Les allergies recensées dans la littérature médicale concernant les humains vont de l'urticaire à l'œdème de Quinck, en passant par l'asthme ou la conjonctivite dans la plupart des cas. En ce qui concerne les animaux, le contact étant souvent situé au niveau de la tête, en plus des troubles cités précédemment, ils peuvent souffrir de cécité, de nécrose des tissus, et notamment de la langue ou des muqueuses de la gueule, ce qui conduit parfois à l'ablation des zones nécrosées voire à l'euthanasie de l'animal. Plusieurs dizaines de cas d'euthanasie sont recensés chaque année rien qu'en Île-de-France.
Les chenilles ont un impact relatif sur les végétaux
Les chenilles de la processionnaire du chêne sortent de leur œuf dès le débourrage des chênes, parfois même avant, soit vers les mois de mars et d'avril. Le développement larvaire dure jusqu'au mois de juin, mois durant lequel elles tissent leur nid de nymphose pour se transformer en papillon. La processionnaire du chêne infeste essentiellement les chênes à feuilles caduques. On la trouve ainsi le plus souvent sur les chênes pédonculés et sessiles. Lors d'infestations importantes, des chênaies entières peuvent être défoliées. Si les infestations durent plusieurs années, ce qui est fréquemment le cas, les stress générés par ces attaques peuvent avoir un impact délétère sur les arbres, surtout si ceux-ci s'ajoutent à d'autres stress comme la sécheresse, le gel printanier, etc. Heureusement il n'y a qu'une seule génération de chenilles par an. Et celles-ci impactent les chênes dès la sortie des toutes jeunes feuilles. Les chênes ont donc la possibilité de refaire une seconde pousse une fois les chenilles arrivées au terme de leur développement larvaire.
En ce qui concerne la processionnaire du pin, on la trouve sur les pins (noirs, maritimes, d'Alep), mais aussi parfois sur les épicéas et les cèdres. Les chenilles sont enregistrées entre le mois de septembre et d'avril, mois de leur nymphose. Dans le cas de cette espèce aussi, il n'y a qu'une seule génération par an, ce qui permet aux arbres de réagir. Mais comme, une fois que cette chenille est installée quelque part, elle y reste, les arbres sont souvent attaqués chaque année, ce qui est particulièrement stressant.
Ajoutés à d'autres sources de stress comme les sécheresses répétées de ces dernières années, ou d'autres insectes xylophages, les arbres sont durement impactés et certains peuvent dépérir à cause des chenilles processionnaires.
Des conséquences sociales, voire économiques ?
La présence de chenilles urticantes peut engendrer de fortes inquiétudes. Il n'est pas rare que nous recevions des appels de responsables des espaces verts, d'habitants ou de services de police. Les raisons ? Un enfant hospitalisé, des riverains inquiets pour leurs animaux, des policiers qui sont saisis, mais ne savent pas si leur intervention est légitimée par une réglementation quelconque.
Par ailleurs, de nombreuses manifestations estivales sont annulées ou délocalisées, chaque année, à cause de cas d'allergies chez les participants. Les impacts de ces chenilles sont également très importants pour les travailleurs forestiers, les élagueurs et les personnes gérant des activités de loisir en forêt.
Les couts générés par les chenilles processionnaires ne se limitent bien évidemment pas aux interventions des entreprises spécialisées, mais nous ne connaissons pas le cout global qui intègre en réalité notamment les couts de santé, et l'impact sur l'ensemble des activités économiques. Ce que nous savons en revanche c'est que la prévention est généralement source d'économie sur la gestion, mais surtout : « mieux vaut prévenir que guérir »