« Entretenir autant que nécessaire, mais aussi peu que possible ! » Nombreux sont les gestionnaires d’espaces de nature en ville qui appliquent ce précepte. D’abord motivée par le passage au « zéro phyto » sur les espaces publics, la gestion différenciée participe à l’évolution des paysages urbains. Aujourd’hui, cette mutation est guidée par de nouveaux enjeux tels que la préservation de la biodiversité et la renaturation des villes qui sont les leviers d’amélioration de la santé et du bien-être.
La gestion différenciée pour l’atteinte du zéro phyto
Le principe de gestion différenciée avait émergé dès les années 70, dans le but de rationaliser l’entretien des espaces verts. Mais ce n’est qu’à partir des années 2000, avec la prise de conscience de l’impact des pesticides sur la santé et l’environnement, puis la parution du premier plan Ecophyto en 2008, que la gestion différenciée s’est alors imposée comme le modèle de gestion à mettre en place.
Avec l’entrée en vigueur de la Loi Labbé en 2017 et les programmes « zéro phyto », les gestionnaires ont été contraints de mettre en place des plans de gestion reposant sur des solutions alternatives aux produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts. En plus de proposer une esthétique satisfaisante, la gestion des espaces verts doit désormais répondre à un enjeu de santé : préserver la santé des agents, des citadins, mais aussi la santé environnementale et la qualité de l’eau.
Les responsables des services espaces verts ont dû faire évoluer leurs pratiques pour se passer des herbicides, fongicides et insecticides. Ces produits présentaient l’avantage d’atteindre rapidement et à moindre coût les objectifs esthétiques des standards alors attendus : du fleurissement horticole abondant, des végétaux à la taille architecturée, des cimetières et trottoirs sans une « mauvaise herbe » qui dépasse.
La question du désherbage, était particulièrement centrale. Comment passer, à budget constant, de 3 traitements herbicides annuels à l’utilisation de techniques alternatives qui demandent aux agents un travail plus lent et plus fréquent ?
C’est notamment à ce défi que répond un plan de gestion différenciée. En partant d’un audit des moyens et méthodes, en considérant, l’usage et les caractéristiques des sites à entretenir, l’art de la gestion différenciée consiste à définir les modes et intensités de gestion les plus adaptés.
Pour chaque site, les objectifs et missions d’entretien sont alors révisés. C’est ce qui a permis de trouver un nouvel équilibre : par exemple réduire les temps ou fréquences de tontes sur certains espaces, pour assurer le désherbage d’autres sites.
La gestion différenciée et les nouveaux paysages dans les villes et villages
De nombreuses évolutions de pratiques ont eu pour conséquences de faire évoluer les paysages en ville. Les standards ont été revus et les codes visuels ont été bousculés.
Parfois perçus au départ comme un abandon, ces nouveaux paysages sont aujourd’hui mieux acceptés. Les citadins se sont familiarisés avec ces herbes désormais appelées « adventices », surtout lorsque les changements de pratiques ont été accompagnés d’une sensibilisation, des animations, des conférences autour des enjeux de la nature en ville.
Ces nouveaux codes visuels sont créés par tout un ensemble de pratiques comme la mise en place de fauches tardives, les prairies fleuries, le paillage des massifs, la taille raisonnée des arbustes, l’utilisation de plantes vivaces et le choix de végétaux plus résistants à la sécheresse, la végétalisation d’espaces tels que les cimetières ou les pieds d’arbres. L’œil averti d’un jury Ville et Villages Fleuri saura rapidement repérer des pratiques modernes et durables de fleurissement et d’entretien.
Et cela interpelle parfois lorsqu’on parcourt une ville qui n’a pas encore assuré cette transition : on a le sentiment de remonter dans le temps, de trouver des paysages un brin désuets.
Gestion différenciée : les nouveaux défis de la biodiversité et de la renaturation des villes
Aujourd’hui, le zéro phyto est atteint et les gestionnaires doivent intégrer de nouvelles problématiques : celles du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. La crise du COVID en 2020, a aussi accéléré une prise de conscience sociétale et une attente de la part des citadins qui souhaitent être plus connectées à la nature, disposer de plus d’espaces verts, et réduire l’impact des activités humaines sur l’environnement global, mais aussi local. Il en va de notre santé et de notre bien-être au quotidien.
La présence et la gestion de la nature en ville constituent une partie de la solution à ces enjeux, et cette renaturation va de pair avec le développement de la place du végétal en ville. Aussi, la mise en place d’une gestion différenciée est d’autant plus importante : tant pour prendre en compte la biodiversité et s’assurer que la gestion appliquée soit bien favorable à la nature, que pour relever le challenge d’entretenir toujours plus d’espaces verts avec des moyens qui restent limités.
La réponse apportée par la gestion différenciée au zéro phyto a permis des évolutions sur les outils et méthodes alternatives aux pesticides. Cela allait déjà dans le sens de la préservation de la biodiversité. Mais désormais, les évolutions de pratiques sont guidées par des indicateurs nouveaux, tels que la présence de faune ou de flore révélée par des inventaires de biodiversité.
Gestion différenciée et biodiversité
Les gestionnaires ayant mis en place une gestion différenciée observent souvent que les zones enherbées, gérées en prairies, voient le cortège de plantes à fleurs augmenter avec le temps, avec notamment des espèces emblématiques comme des orchidées sauvages. Ces prairies naturellement fleuries fournissent le couvert aux insectes pollinisateurs, aux papillons, aux sauterelles, qui peuvent voir leurs populations réaugmenter avec le temps.
Cet exemple illustre comment la gestion des espaces verts influence la biodiversité des villes.
On peut également parler de la limitation, ou de l’adaptation des périodes de la taille des arbres et arbustes, pour éviter les périodes de nidification, préserver l’habitat d’oiseaux nicheurs ou de la conservation d’arbres creux ou mort sur pied (quand cela est possible), pour accueillir des oiseaux cavernicoles et différents insectes.
On comprend alors l’importance de penser la répartition de ces méthodes et intensités d’entretien, plus seulement sur des considérations esthétiques, mais aussi sur des considérations fonctionnelles sur le plan de la biodiversité. À l’instar des trames écologiques : trames verte, bleue, noire au départ identifié à l’échelle régionale, il parait aujourd’hui très pertinent de s’interroger sur l’application de ce même principe à l’échelle communale.
Un plan de gestion différenciée conçu il y a une dizaine d’années se concentrait sur la diminution de la consommation de pesticides. Cela a favorisé la biodiversité, qui n’était plus impactée directement par produits, et indirectement cela a conduit à créer des milieux plus favorables. Désormais, c’est la préservation de la nature qui guide l’évolution des paysages, et fait évoluer les compétences et les pratiques d’entretien.
Gestion différenciée et changements climatiques
Le végétal en ville est une solution pour lutter et s’adapter aux changements climatiques et leurs impacts : séquestration de carbone et réduction des polluants atmosphériques, lutte contre les ilots de chaleurs urbains, gestion des eaux pluviales. La capacité du végétal à apporter ses services écosystémiques dépend de son niveau de présence, mais aussi de la gestion qu’on applique. Par ailleurs, la gestion des espaces de nature en ville génère elle-même des consommations d’eau et d’énergie, des impacts qu’il convient de ne pas négliger, et qui sont de fait à raisonner.
C’est justement ce que permet la mise en place d’un plan de gestion différenciée : rationaliser des moyens et objectifs, et pouvoir suivre l’atteinte de ces objectifs.
L’outil peut, selon les indicateurs définis par le gestionnaire, intégrer des données comme les trajets liés à l’entretien, l’utilisation de machines thermiques, encore les quantités d’eau consommées, pour mesurer l’atteinte vis-à-vis d’objectifs spécifique : réduction des GES, de la consommation d’eau, du fleurissement annuel…
Dans un contexte de changement climatique, et notamment de vagues de chaleur et canicules, la gestion différenciée évolue et les gestionnaires cherchent à adapter tant le choix des végétaux, que les méthodes d’entretien. Les palettes végétales évoluent, en poursuivant le fait de s’appuyer sur des vivaces, mais aussi en intégrant des tests sur des plantes grasses, des graminées, des cactées, et autres végétaux identifiés comme mieux adaptés au facteur sécheresse par exemple.
Pour limiter localement le phénomène d’ilot de chaleur, on cherche à végétaliser des surfaces au désimperméabilisées, on cherche à développer la strate arborée, et là encore, les végétaux doivent être sélectionnés et entretenus avec soin, ce qui revient parfois à bien planter, bien accompagner l’implantation du végétal, et peut être moins l’entretenir, moins tailler, moins tondre par la suite.